Vivre en chrétien la sexualité dans le couple

Comment former son jugement en matière de sexualité ?

Par le père Charles Bonnet

Le titre donné par les affiches et les tracts à mon intervention est trop vaste. Il n’est pas question de faire, ce soir, le tour de problèmes liés à la sexualité. J’en resterai à la sexualité du couple : comment vivre en chrétien la sexualité dans le couple ? Je ne parlerai donc ni de la sexualité en général, ni des difficultés sexuelles ne concernant pas le couple : homosexualité, masturbation, fétichisme, etc., ni des problèmes posés par l’éducation sexuelle des jeunes ou par l’échec du couple.

Je n’ai même pas l’intention de faire le tour des problèmes de la sexualité dans le couple. Je ne suis ni médecin, ni psychologue, ni conseiller conjugal professionnel. Je voudrais que notre réflexion de ce soir nous amène à mieux discerner le sens chrétien de la sexualité dans le couple : ce qui est fondamental, aux yeux de l’Evangile et de l’Eglise, pour vivre chrétiennement la sexualité dans le couple. Mon intention n’est pas de délimiter un permis et un défendu, de fournir des solutions toutes faites, mais d’aider chacun à former son jugement, à mesurer le poids des choses en cause, pour, à partir de là, décider en conscience en tenant compte, dans la situation de chaque couple, des appels entendus, des contraires et du possible.

C’est toujours avec inquiétude que j’aborde ces questions. Car le discours chrétien sur la sexualité a toujours beaucoup de peine à se faire entendre et suscite beaucoup de contestations. Et ce n’est pas d’aujourd’hui. Déjà, du temps de Jésus, on cherchait continuellement à le piéger à ce sujet :

« Maitre, pour quel motif peut-on renvoyer sa femme «  (Mt 19,3)

« Notre loi prescrit de lapider ces femmes ? … je ne te condamnerai pas. » (Jn 8)

« S’il savait quelle est cette femme qui le touche ? … Il lui sera beaucoup pardonné parce quelle a beaucoup aimé. » (Lc 7, 36 à 50)

Et selon sa réponse, on le jugeait ou trop rigide ou trop laxiste. On cherchait à le mettre dans son tort car on était sûr d’avoir la loi pour soi. On ne laisse à Jésus que deux solutions : approuver ou s’enfoncer. On n’a pas envie d’écouter la réponse, de changer qui que ce soit dans sa vie mais on veut avoir raison. On veut se justifier et être justifié. « Donner moi des raisons d’avoir raison ».

L’Eglise ne sera pas au-dessus de son maître ni moi non plus ce soir.

 

  1. Et Dieu vit que cela était bon

 

Commençons par casser un certain nombre de préjugés. On dit que la sexualité a mauvaise réputation dans le christianisme, qu’elle a toujours un relent de péché, que la tradition judéo-chrétienne est très hostile à la sexualité. Il est vrai qu’on peut trouver des auteurs chrétiens allant dans ce sens, mais on ne lit rien de cela dans l’Ecriture.

 

1.1. La sexualité dans la tradition juive de l’Ancien Testament

C’est bon car c’est Dieu qui a créé le couple.

La Bible commence par des noces. Quand Dieu crée l’homme, il le crée couple : « Homme et femme il les créa, à l’image de Dieu il les créa » (Gn 1,24), « Voici l’os de mes os, la chair de ma chair », « L’homme s’attachera à sa femme et ils ne feront qu’une seule chair » (Gn 2, 23 à 24). Que l’homme désire la femme, quitte tout pour elle et s’unisse à elle, il n’y a là rien de mal. C’est la volonté de Dieu depuis toujours.

C’est tellement bon que Dieu a voulu en faire de son amour

Quand Dieu veut faire comprendre son amour pour son peuple, il raconte des histoires d’amour, souvent tumultueuses et assez ratées d’ailleurs, mais qui finissent toujours par le pardon jusqu’à la prochaine aventure : Osée 1-3, 2/2-3/1 et 31/3, Ezéchiel 16 et 23, Isaïe 50/1, 54/5-7, 62/1-5.

L’écriture présente comme parole de Dieu des chants d’amour très libres qui n’hésitent pas à faire la part du désir et de l’érotisme comme le Cantique des Cantiques (cf. 2/8-16, 7/7-8, 8/6-7).

C’est une bénédiction, c’est mauvais de ne pas se marier et malédiction d’être privé de descendance.

La sexualité est un cadeau de Dieu, une bénédiction voulue pour faire grandir le peuple de Dieu. Le stérile l’impuissant sont maudits de Dieu. Le mariage est un devoir : un bon fils de Dieu doit se marier. Le célibataire est un déserteur.

 

1.2. Le Nouveau Testament va continuer dans cette ligne tout en prenant de la distance

 

Le Nouveau Testament va mettre en avant et présenter comme un idéal possible la virginité et le célibat pour le Royaume mais ce n’est jamais au détriment du mariage.

 

Ce qui va faire problème, c’est la parole et l’exemple de Jésus

Jésus n’a jamais parlé de la sexualité en tant que telle et même assez peu du mariage. Mais son attitude personnelle vis-à-vis du mariage va jouer un grand rôle. Jésus n’est pas marié et son célibat est étonnant par rapport à la mentalité dominante. Peut-être même suscite-t-il l’ironie : ne serait-il pas eunuque ? Il affirme qu’on peut se faire eunuque pour le Royaume (Mt 19/12).

Mais son célibat n’est pas un mépris du mariage que non seulement il ne condamne pas mais qu’il voudrait voir plus solide et plus durable (Mt 19/6).

Son célibat n’est pas peur des femmes. Jésus est très à l’aise avec les femmes. Il se fait suivre de plusieurs (Lc 8/2-3), il les a comme amies (Lc 10/38-42), il n’est pas troublé d’être caressé par elles (Lc 7/38, Jn 12/3). Il apparait même trop accueillant pour les « femmes de mauvaise vie ».

Son célibat est volonté de liberté pour le Royaume : le célibat laisse disponible pour le service pour le service du Royaume, permet d’être entièrement donné, sans être retenu par la famille d’où on vient ni celle qu’on pourrait fonder. Ma famille, ce sont les croyants (Mt 12/49). Pas d’autre attachement dans ma vie que le Royaume. Le célibat est mis à distance de la famille et no mépris de la génitalité.

L’exemple de Jésus va inaugurer dans le christianisme une libération par rapport au mariage, à la fécondité, à la nécessité de l’union sexuelle et donc une relativisation de ces réalités. Pas besoin d’être marié, pas besoin d’avoir des enfants, pas besoin d’avoir des relations sexuelles pour être un homme ou une femme réussi. Pas besoin d’être un patriarche comblé de femmes et d’enfants pour être béni de Dieu.

Cette libération va réagir sur le mariage lui-même. Le mariage et la sexualité ne sont pas uniquement, et même pas d’abord, au service de la procréation. Ils sont d’abord pour les époux. Quand Jésus ou Paul parle du mariage, il n’est question que du couple. Les textes de la Genèse cités sont veux qui parlent du couple. Le couple passe avant la famille et la procréation. Se marier c’est d’abord former un couple qui s’aime et qui dure jusqu’à la mort. Même sans enfants, un mariage est un vrai mariage. Et l’Eglise prendra le risque de schismes pour l’affirmer.

 

Alors faut-il encore se marier ? Les réponses de Paul dans la 1ère lettre aux Corinthiens

L’exemple de Jésus va faire école. Si être chrétien c’est imiter Jésus, faut-il encore se marier ? Et si l’on est marié, faut-il encore user du mariage ? Ce sont les questions auxquelles st Paul essaie de répondre dans le chapitre 7 de l’épitre aux Corinthiens. Certains voudront aller trop loin et voir dans l’exemple du Christ une loi s’imposant à tous.

Est-il bon de s’abstenir de relations sexuelles pour les gens mariés ? Oui si c’est d’un commun accord (car le corps de chacun appartient à l’autre et ce n’est pas moi de lui imposer ma décision car l’union conjugale est un du, un droit). Mais pas pour trop longtemps car c’est dangereux pour la fidélité du couple (1 Co 7/1-6).

Est-il bon de ne pas se marier ? Cela peut l’être si c’est votre vocation, mais il vaut mieux se marier que de mener une sexualité désordonnée (1 Co 7/9).

Est-il bon de ne pas se remarier ? Là encore c’est possible mais le remariage est bon aussi et peut être souhaitable pour les plus jeunes (1 Co 7/39, 1 Tim 5/11).

Même si Paul pense que son état est souhaitable, il ne veut jamais l’imposer et veut laisse toute liberté aux personnes de choisir ce qui leur convient le mieux.

Il n’y a chez Paul aucun mépris pour le mariage. Il est fils de l’Ancien Testament : le mariage, la sexualité, c’est bon. Il inaugure un combat que l’Eglise devra mener contre certains excès ascétiques qui ne sont pas d’origine chrétienne mais d’origine platonicienne, gnostique ou manichéenne mais qui se colorent de couleurs chrétiennes et pourront même influencer tel ou tel Père de l’Eglise, pour qui la création, le corps, la sexualité, sont l’œuvre du mauvais. Il faut s’en purifier, au risque de se déshumaniser. Même si l’Eglise a pu être marquée par cette vision pessimiste, elle en refusera toujours les excès. Elle condamnera même au Concile de Trente ceux qui choisiraient le célibat ou la virginité consacré au mépris du mariage. Il n’y a de célibat ou de virginité sainte que si on croit à la valeur du mariage et de la sexualité.

 

Rien de plus profond n’a été dit sur le sacrement du Corps que dans la lettre aux Ephésiens

C’est la que va se trouver sa source la vision la plus haute qui soit de l’union sexuelle. C’est le fameux texte d’Ephésiens 5/21sc « Maris, aimez vos femme comme le Christ a aimé l’Eglise. Il s’est livré pour elle. Les maris doivent aimer leur femme comme leur propre corps. C’est ce qu’à fait le Christ. Ne sommes-nous pas les membres de son Corps. Voici que l’homme quitter son père et sa mère pour s’attacher à sa femme et tous les deux ne feront qu’une seule chair. Ce mystère est de grande portée, il s’applique au Christ et à l’Eglise. »

Le seul vrai mariage c’est celui du Christ et de l’Eglise. C’est à lui que s’applique le mieux les paroles de la Genèse. Il a quitté son ère pour s’attacher à l’Eglise et ne faire qu’une seule chair, un seul corps avec celle-là. Cette union qu’il a réalise par sa mort et sa résurrection est proclamée et rendue présente dans l’Eucharistie. Dans l’Eucharistie, le Christ nous livre son corps pour ne faire qu’un Corps avec tous ceux qui s’uniront à son Corps.

Tout mariage est image, sacrement de cette Alliance là. En livrant mon corps à celui ou celle que j’aime pour ne faire qu’un seul corps, je revis quelque chose de l’Alliance éternelle du Christ avec l’Eglise. L’union sexuelle dans laquelle se réalise et s’accomplit le mariage est sacrement, signe, et participe à la réalité du don que le Christ fait de son corps à l’Eglise pour ne faire qu’un corps avec elle. Le couple est sacrement de l’union du Christ et de l’Eglise, non seulement quand ils s’aiment comme le Christ a aimé l’Eglise, mais aussi quand ils s’unissent comme le Christ s’unit à l’Eglise, dans le don Corps à l’autre pour ne faire qu’un seul corps ensemble. L’union sexuelle et pas seulement l’amour conjugal est sacrement. C’est l’amour conjugal tout entier sans en exclure sa dimension corporelle qui est sacrement. Pour st Paul et l’Eglise, ce don du corps est tellement bon que Dieu n’hésite pas en faire la figure de son propre don.

J’ai hésité longtemps avant de dire cela, par peur d’en faire trop dire au texte de Paul, peut-être aussi par peur de scandaliser : comment une réalité si peu spirituelle, diraient certains, peut-elle être rapprochée du mystère du Calvaire et de l’Eucharistie ? Mais n’est-ce pas un mépris inconscient du corps et de la sexualité ? Incapacité de croire que l’union sexuelle est de l’ordre du spirituel ? St Paul dit déjà cela en filigrane en 1Cor 6/ 12-17.

On comprend alors le profond respect de l’Eglise pour l’union d’amour d’un homme et d’une femme. Si l’union des corps a pour vocation de signifier et actualiser l’union du Christ et de l’église, ce ne peut plus être un geste banal, le contact rapide d’épidermes à la recherche d’un plaisir éphémère, voire un geste d’affection banal entre copains. C’est au contraire le signe du don total à l’autre. Le corps dit à qui appartient le cœur : là où est ton corps, là est ton cœur. On ne donne son corps qu’à celui ou celle avec qui on a fait alliance. Donner son corps à l’autre, c’est le don suprême. Le corps, c’est ce qu’on donne en dernier, quand on est allé jusqu’au bout de l’amour et qu’on est décidé à se donner pour toujours. Comme l’a fait le Christ : « les ayant aimés jusqu’au bout... il leur dit... voici mon corps livré... pour l’Alliance nouvelle et éternelle. ». Pour l’Eglise, ce don ne peut venir qu’au terme, lorsque le couple est décidé à ce que le chemin commencé ensemble aille jusqu’au bout ensemble. Il est signe d’un don total, la conclusion d’une Alliance pour toujours; sinon, il est prématuré dans tous les sens du terme (venant trop tôt et immature) ou encore pire, mensonge. Je donne mon corps, mais je ne me donne pas, je me prête tout au plus. Ce don n’engage à rien.

Se donner de corps avant de s’être engagé publiquement l’un envers l’autre pour toujours, par la parole, apparaîtra toujours à l’Eglise comme quelque chose de prématuré. Il y a là un décalage injustifiable à ses yeux. Mais tout n’est pas à mettre sur même pied. Ce n’est pas la même chose de s’unir sans amour, par pure recherche de plaisir, de le faire comme un geste réel d’affection mais sans lendemain, de se donner sans engagement définitif pour voir si ça peut durer, ou de se donner alors qu’on se considère comme époux de fait mais sans avoir encore célébré publiquement cet engagement.

L’important, à ses yeux, c’est que l’engagement du corps, du cœur et de la parole aillent de pair : qu’on n’engage jamais le corps si on n’est pas décidé à engager la parole et qu’on ne retarde pas l’engagement public de la parole si on est déjà engagé de corps et de cœur.

 

  1. Tout est bon mais tout n’est pas également profitable

La cause est entendue. La sexualité est bonne. Elle est tout à fait légitime quand on est marié. Mais peut-on, pour autant, la vivre n’importe comment dans le couple ?

On peut vouloir s’unir sexuellement :

- pour avoir des enfants

- pour manifester son amour à l’autre

- pour y trouver du plaisir

Pour l’Eglise, ces trois finalités sont bonnes mais à condition de les unir inséparablement sans en exclure aucune. Et c’est là que les difficultés commencent.

 

2.1. La fin première de l’union sexuelle n’est-elle pas d’avoir des enfants ?

 

Une priorité à nuancer

Ce que nous avons dit de Jésus et de Paul relativiserait déjà cette vision. Vatican II n’a pas voulu entrer dans ce vocabulaire de priorité des fins. Elles sont pour lui indissolublement liées.

Cette priorité traditionnellement donnée à la procréation a amené certains Pères de l’Eglise à tenir que l’union sexuelle n’était légitime que pour avoir des enfants et cessait de l’être si la procréation n’était plus possible (femme enceinte ou ne pouvant plus avoir d’enfants). On invitait l’homme à être aussi raisonnable que les animaux ou la nature.

Mais l’ensemble de la tradition chrétienne ne les as jamais suivis. Elle a toujours admis la légitimité de l’union sexuelle pour les mariages définitivement stériles ou pour les unions qui l’étaient passagèrement. L’union reste légitime pour manifester l’amour entre époux, ou même éviter les tentations, même si la fécondité est, involontairement, impossible. Vatican II et « Humanae vitae » le rappelleront.

 

Si c’est volontairement qu’on rend la fécondité impossible, l’union reste-t-elle légitime ?

Nous retrouvons ici toutes les discussions autour des méthodes contraceptives qui ont précédé ou suivi l’encyclique « Humanae vitae » en 1986. je ne veux pas aborder en détail la question de la contraception ou de la limitation des naissances mais montrer en quoi cela concerne le sens de la sexualité.

Contrairement à ce qu’on entend dire souvent, le rejet de vient pas du fait que ces méthodes soient artificielles car il y a de l’artifice dans toute méthode et il faudrait alors refuser bien d’autres méthodes artificielles. Elle vient de ce que ces méthodes remettent en cause le sens de la sexualité en déconnectant complètement la fonction amour de la sexualité de l’ouverture à l’enfant. Pour l’Eglise « Tout acte matrimonial doit rester ouvert à la transmission de la vie… Il y a un lien indissoluble entre les deux significations de l’acte conjugal : union et procréation ». La sexualité se dévalorise si l’on couple l’amour de l’ouverture à l’enfant.

La discussion entre théologiens n’a jamais porté sur la nécessité de respecter cette double finalité mais sur la façon de la respecter. Si un couple refuse l’arrivée de nouveaux enfants pour le bien des enfants déjà là ou à venir, l’ouverture à la fécondité (d’hier ou de demain) n’est-elle pas présente dans l’union sexuelle quelles que soient les méthodes utilisées ? L’ouverture au niveau du cœur ne suffit-il pas sans qu’il soit besoin de la signifier au niveau du corps ? C’était l’opinion de la majorité des théologiens consultés.

Paul VI a voulu en rester à la position classique : il faut manifester cette ouverture dans la façon même de réaliser l’union. Si, pour des raisons légitimes, on ne veut pas d’enfants pour l’instant, il faut néanmoins que l’union sexuelle reste un acte de même nature que celui qui aurait permis d’avoir des enfants à une autre période. C’est avec un geste qui pourrait être fécond et donner naissance à des enfants, un geste capable de donner la vie, que nous nous manifestons notre amour. Rien dans l’acte ne rend la fécondité impossible sinon qu’il est posé à un moment où il est infécond. « A s’aimer de cette façon là, à une autre période, nous aurions pu avoir des enfants. Nous n’avons pas changé la structure de l’acte pour ne pas avoir d’enfants. C’est toujours de la même façon que nous nous manifestons notre amour, que nous voulions des enfants ou pas ».

Tandis que si les époux privent l’acte de sa fécondité par des contraceptifs, ils changent la structure de l’acte : « à s’aimer de cette façon là nous n’aurons jamais d’enfant. Pour ne pas avoir d’enfants, nous avons changé la façon de nous aimer : ce n’est plus avec un acte capable de donner la vie que nous nous aimons ». C’est donc dans le corps lui-même, dans la façon de réaliser l’union qu’il faut signifier l’union des deux finalités.

C’est dans ce sens que Paul VI a tranché. Cette décision n’a pas fini de soulever des débats entre chrétiens. Je ne veux pas aller plus avant dans les discussions mais faire plusieurs remarques.

 

Il faut prendre au sérieux cette orientation même si on a du mal à la comprendre

Le synode de 1980 s’est demandé si les justifications avancées par « Humanae vitae » étaient les meilleurs mais l’intuition profonde est certainement juste : coupée de son rapport à la vie, la sexualité risque, très vite, de se dévaloriser en jeu, en pure recherche égoïste.

Cette sexualité sans violence qui ruse avec le corps pour vivre à son rythme a peut-être l’avenir pour elle. L’écologie le redécouvre. Cela risque d’être moins couteux que des méthodes plus lourdes qui l’agressent : pilule sur longue période, mini avortement à répétition, etc. On aurait peut-être ouvert une voie prometteuse à la recherche en l’orientant vers la recherche d’indicateurs fiables capables d’annoncer avec certitude sans risque d’erreur l’imminence de l’ovulation, ce qui réduirait l’abstention au minimum. Certains ont peut-être décidé trop vite qu’il n’y avait rien à chercher de ce côté-là. Du simple point de vue humain, on finira peut-être par rendre justice aux Papes. Les couples qui ont pu assurer de cette façon une régulation efficace des naissances savent combien cela a été bénéfique pour eux. C’est certainement là le souhaitable.

 

Accepter le bien fondé de cette exigence ne doit pas supprimer tout bon sens moral

Avant de s’interroger sur les moyens il faut toujours d’abord s’interroger sur les motifs (est-ce pour avoir une voiture, maison, ou pour le bien-être des enfants ou de l’épouse ?). Un motif égoïste ne justifie aucune méthode même approuvée par les Papes.

Pour respecter un devoir important (éviter qu’un couple ne e brise ou que la santé de la mère ne se détériore) il peut ne pas y avoir d’autre solution que l’emploi de contraceptifs. Il faut dans ce cas observer le devoir majeur. C’est ce que disaient les Evêques français en 1968.

« Nul n’ignore les angoisses spirituelles où se débattent les époux sincères, notamment lorsque l’observance des rythmes naturels ne réussit pas à donner une base relativement sûre à la régulation des naissances. D’autre part, ils sont conscients du devoir de respecter l’ouverture à la vie de tout acte conjugal, ils estiment également en conscience devoir éviter ou reporter à plus tard une nouvelle naissance et sont privés de la ressource de s’en remettre aux rythmes biologiques. D’autre part, ils ne voient pas en ce qui les concerne comment renoncer actuellement à l’expression physique de leur amour sans que soit menacée la stabilité de leur foyer.

A ce sujet nous rappelons seulement l’enseignement constant de la morale : quand on est dans une alternative de devoirs, où quelle que soit la décision prise, on ne peut éviter un mal, la sagesse traditionnelle prévoit de rechercher devant Dieu quel devoir en l’occurrence est majeur. Les époux se décideront au terme d’une réflexion commune menée avec tout le soin que requiert la grandeur de la vocation conjugale. »

Il ne faut pas faire de cette exigence légitime un devoir si absolu qu’il aurait priorité sur tout le reste. Il y a bien d’autres devoirs importants et même plus importants en matière de sexualité ou de vie chrétienne tout court. Il ne faut pas en faire la faute par excellence et la mettre sur le même pied que le refus de Dieu, l’avortement ou l’injustice grave. Sinon on fait de cette exigence une idole. Il ne faut pas confondre furoncles et cancer même s’il est bon d’éviter les furoncles.

 

2.2. Et la tendresse ?

 

« Humanae vitae » écrit « De même qu’un acte conjugal imposé au conjoint sans égard à ses conditions est ses légitimes désirs n’est pas un véritable acte d’amour et contredit une exigence du bon ordre moral… de même un acte d’amour mutuel qui porterait atteinte à la disponibilité à transmettre la vie ». On parle beaucoup de la seconde partie de la phrase mais on s’interroge moins sur la première. Elle demande pourtant les mêmes exigences.

 

L’union n’a de sens que si elle s’inscrit dans toute une vie d’amour

Elle n’est acte de tendresse que si elle est l’expression de toute une vie de tendresse sinon elle est brutalité. D’où elle ne doit pas être la seule marque de tendresse et d’union dans la vie d’un couple aussi bien dans la vie quotidienne que dans l’union. Elle doit toujours être vécue dans le cadre d’une histoire d’amour.

 

Passer de la séduction dominatrice au don

Aimer c’est se livrer. Se livrer c’est ne pas imposer sa volonté à l’autre. Non « je te soumets mais je me donne ». C’est aussi se livrer au regard de l’autre pour être aimé tel qu’on est. On dépasse le stade de la séduction où je cherche à m’attarder l’autre par le superficiel de moi-même, le clinquant, mais je me livre à toi dans ma nudité, sans avoir peur de ta réaction. Se livrer à l’autre tel qu’on est pour être aimé tel qu’on est.

La nudité physique du couple doit être signe d’un dévoilement plus profond. Déjà les couples résistent mal au réveil quotidien où l’autre habituellement si bien mis apparaît mal peigné, mal réveillé, mal rasé. Accepter de paraitre dans la maladie ou le vieillissement. Je ne dis pas qu’il faut chercher à rester séduisant c’est-à-dire attirant mais attirant par l’essentiel et sans cacher ses faiblesses pour aimer cet être aimé sans illusions à la façon dont Dieu nous aime, tels que sommes réellement.

 

Vivre l’union sexuelle comme renouvellement des promesses du mariage

 

En me donnant à toi à nouveau, je redis un nouveau oui, je renouvelle le don que je t’ai fait de moi. Il est signe de l’amour que j’ai pour toi, et de l’amour que je veux avoir encore plus pour toi. Il vaut être réconciliation, redépart. Le corps ne change le cœur que si le cœur est déjà en changement. Il ne peut pas substituer au changement du cœur mais l’aider à prendre corps.

 

2.3. Et si on y cherche le plaisir ?

C’est vrai que l’Eglise n’a pas toujours été à l’aide avec le plaisir. La recherche du plaisir pouvait détourner de Dieu. On le tolérait tout au plus comme « remède à la concupiscence ». Si vous avez besoin de certains plaisir plutôt que d’aller ailleurs, cherchez-les dans votre couple.

 

Le plaisir est bon puisque Dieu l’a créé

Savoir joui sans culpabilité n’est pas si facile que cela et pas seulement au plan sexuel : savoir jouir d’un repas, d’une musique, d’un paysage.

Apprendre à jouir, à être tout entier à la jouissance sans être ailleurs, sans la rechercher en vue d’autre chose.

Apprendre à jouir en paix pour pouvoir jouir de Dieu.

 

Bien sûr le plaisir peut être illusion : il peut être :

- fuite : façon d’oublier les problèmes : puisqu’on ne peut plus se parler, on s’unit.

- Domination de l’autre que je plie à mon plaisir, j’en fais mon instrument, ma chose.

- Egoïsme : je me désintéresse de l’autre pour ne chercher que mon propre plaisir.

 

Donner du plaisir est une façon d’aimer

Dans la rencontre du couple, chercher le plaisir de l’autre fait parti de l’amour, est une façon authentique d’aimer. Aussi il est important d’être attentif au plaisir de l’autre, de vouloir se mettre au service du plaisir de l’autre. Je me livre à l’autre pour lui donner du plaisir. Je m’expose à sa volonté au lieu de lui imposer la mienne.

Chercher à donner le plus possible ce qu’il attend : je n’aime pas ce geste mais je veux bien pour toi.

Ne pas imposer ce qui détruirait l’autre : j’aimerais bien mais si tu ne veux pas, je ne veux plus.

C’est à chaque couple de définir son intimité et une intimité qui peut progresser ensemble.

 

Aider l’autre à libérer ses désirs et à s’en libérer

C’est là que la fameuse notion de « remède à la concupiscence » peut trouver sens. En étant attentif aux désirs de l’autre, je peux l’aider à oser dire ses fantasmes, ses désirs les plus obscurs. On se dit parfois : je ne peux pas lui demander cela. En laissant apparaitre son désir, on peut le réguler, soit que l’autre en acceptant nous libère, ou, en nous faisant accepter son refus, nous aide à relativiser.

 

Conclusion

 

La sexualité relève aussi de l’Evangile

Rien de ce que Dieu a créé n’échappe à l’Evangile, à l’amour qu’il demande, au pardon, à la guérison.

Elle doit faire partie du dialogue du couple : arriver à parler clairement l’un avec l’autre de ce qu’il y a de plus obscur en nous.

Elle doit trouver sa place dans la prière et être objet d’action de grâce, de pardon, de demande.

 

Ne pas rêver de l’impossible

Pas de culpabilisation pour ce qu’on n’arrive pas à mettre en place. Il faut savoir faire son deuil de ce qui ne sera jamais possible.

Ne pas envier les autres couples : ils ont aussi leurs faiblesses. Un couple ça boîte toujours un peu mais ce n’est pas parce qu’on boîte qu’on est un mauvais couple.

 

Ne pas désespérer

S’il y a échec, voire infidélité, continuez à croire au progrès et au pardon.

 

 

 

 

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