Quand le coeur s'attendrit
« Tendresse » vient de tendre. L'adjectif dit la merveille qui advient lorsque le coeur de l'homme et de la femme, de dur qu'il était, devient sensible, vulnérable. Lorsque le coeur de pierre devient coeur de chair ( Ezéchiel 36,26 ). Chair et tendresse ont cela de commun: la vulnérabilité. (...) Dans la tendresse, deux faiblesses entrent en résonance et se reconnaissent.
La tendresse est promixité. L'autre devient proche, sensiblement et réellement. L'aimée prend corps et chair, fragile et forte à la fois, porteuse de la palpitation impressionnante de la vie. Une intimité sans équivalence s'établit entre deux êtres qui, naguère, étaient étrangers. Un pont est jeté au-dessus de l'abîme. Sans se confondre alors, le désir et la tendresse s'entretiennent mutuellement. L'autre devient chair et cher(e) en même temps (2).
La tendresse introduit dans la relation une dimension nouvelle par rapport à la parole. Au-delà (ou en deçà) des mots, un débordement, une émotion, à mi-chemin entre sensation et sentiment. Peu importe ce qui est dit ou fait. La présence importe plus que les projets, l'être plus que l'agir. L'unicité de la personne de l'autre n'est pas seulement un postulat ou un objet de foi, elle devient quasi sensible, certaine, bouleversante.
Son visage, son corps, tout son être acquièrent un prix sans égal, sa vie devient aussi précieuse que la mienne.
La tendresse de l'amour
Tout cela arrive comme une grâce, c'est-à-dire comme un cadeau, gratuitement. Comme tout lien humain cependant, la tendresse est beaucoup moins limpide lorsqu'elle est recherchée pour elle-même ou lorsque l'on s'y installe avec complaisance. La quête de tendresse, en effet, est toujours peu ou prou une quête de soi. Quête de reconnaissance, confirmation de sa valeur, sentiment de sécurité affective. Désirs bien légitimes, certes, mais qui, s'ils sont dominants, peuvent révéler une certaine immaturité ou une incapacité à accéder à des relations plus exigeantes. A des nourritures plus fortes.
C'est sans doute pour cela que Tony Anatrella dit souvent que la tendresse n'est pas l'amour (3). Même si leurs points communs sont nombreux, même si la tendresse est incontestablement un des noms de l'amour, elle demeure un sentiment. L'amour, au sens plénier, est encore autre chose. Une orientation, un acte, un vouloir. Aimer, c'est vouloir l'autre comme sujet (4). (...) L'amour n'est pas seulement une palpitation du coeur; il est oeuvre, construction, engagement. Oserons-nous rappeler que les moralistes anciens le classaient, avec l'amitié, parmi les vertus ? (...)
La tendresse doit donc être appréciée à sa juste place. En reconnaître la saveur incomparable ne signifie pas céder aux engouements ou aux propos inflationnistes qui l'érigent en modèle de toutes les relations humaines. L'amour d'amitié et l'amour de charité sont d'une autre nature. Et toute relation humaine valable ne passe pas par l'amour ! Avoir un faible pour autrui peut être le commencement de beaucoup de choses, mais savoir se nourrir du pain des forts est aussi dans notre vocation.
(Extrait de l'article paru dans la Revue Alliance N° 91 : La tendresse )
Docteur en théologie. Directeur de l'institut des Sciences de la Famille de Lyon.