Révision des lois de Bioéthique
Interview de Mme Dominique Cadi (Membre du CA de la Confédération AFC) par RCF Nièvre le 18 janvier 2018
Révision des lois de bioéthique : comment ça marche ?
La bioéthique vise à définir les limites de l’intervention de la médecine sur le corps humain, afin de veiller au respect de la dignité de la personne humaine et d’éviter toute forme d’exploitation dérivée de la science.
En France, les principales lois de bioéthique datent de 1994, 2004 et 2011. Trois années importantes pour la réglementation de la procréation médicalement assistée, ou PMA, du diagnostic prénatal, du don d’ovocytes, du transfert d’embryon… En vue d’adapter la législation à l’évolution de la science, du droit et de la société.
Pour obtenir un consensus le plus complet possible, un large échantillon d’intervenants est consulté à chaque projet de loi : des organismes scientifiques, des sociologues, des juristes, des médecins et des citoyens.
Ce rôle de réflexion éthique incombe en France, au Comité consultatif national d’éthique (CCNE), créé en 1983 par François Mitterrand. À l’échelle internationale, il existe aussi un Comité rattaché à l’UNESCO.
Parmi les sujets suivis par ces organismes, des demandes fortes sont apparues concernant la procréation médicalement assistée (PMA), le diagnostic préimplantatoire ou prénatal (DPI ou DPN) ou encore la recherche sur l’embryon, les demandes de gestation pour autrui, … ceci, de la part de couples hétérosexuels, mais aussi de couples de femmes, d’hommes et d’hommes ou de femmes seuls.
La loi de 2011 indique que « tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux (…) organisés à l’initiative du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), après consultation de différentes commissions (des commissions parlementaires et de l’OPECST (l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques). En l’absence de projet de réforme, le comité est tenu d’organiser des états généraux de la bioéthique au moins une fois tous les cinq ans. »
La loi de 2011 doit donc être réexaminée. Le rendez-vous est fixé au 18 janvier 2018. Elle soulève d’importantes questions éthiques, sociales et juridiques que je vous propose d’explorer un peu.
Donc, des débats publics, peut-être une consultation publique via internet puis remise d’un rapport au gouvernement, projet de loi “à l’automne“ probablement, et nouveau texte législatif début 2019
Les sujets qui seront vraisemblablement abordés dans les consultations et débats en préparation de la révision de la loi de bioéthique :
Ils n’ont pas tous été arrêtés et annoncés. Probablement :
- La PMA et éventuellement, la GPA
- Le diagnostic prénatal et préimplantatoire ou DPN et DPI associée à la recherche sur l’embryon
- Les évolutions technologiques pouvant conduire à des modifications du génome autour de l’outil CRSPER CAS 9 ou de la FIV à trois parents et l’intelligence artificielle.
- L’euthanasie bien que le gouvernement reste très prudent à ce propos, mais le lobby pro-euthanasie souhaite que cette question soit intégrée à la prochaine révision de la loi de bioéthique.
- Le don d’organes
Aujourd’hui, je vous propose de nous arrêter un peu sur les questions principales posées par la PMA, et qui doivent susciter notre réflexion.
L’assistance médicale à la procréation (AMP) recouvre un ensemble de techniques, conçues par le corps médical, puis organisées par le législateur, pour répondre à des infertilités qui relèvent des dysfonctionnements de l’organisme. Le droit français de la bioéthique a donc opéré un certain nombre de choix. Toutes les techniques d’AMP ont été réservées à des couples, « un homme et une femme vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans … » selon l’article L.152-2 du code de la santé publique qui précisait sans ambiguïté qu’il s’agissait de « remédier à l'infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué. Elle peut aussi avoir pour objet d'éviter la transmission à l'enfant d'une maladie d'une particulière gravité ».
Les demandes sociétales d’accès à l’AMP reposent sur la possibilité d’utilisation de ces techniques à d’autres fins que celle du traitement de l’infertilité liée à une pathologie.
Outre ce choix de réserver l’AMP à des situations d’infertilité pathologique, le législateur a posé deux principes fondamentaux concernant les dons de gamètes : la gratuité et l’anonymat du don
En matière de PMA, plusieurs demandes réclament des réponses : deux sont particulièrement en phase avec l’actualité :
- l’accès aux techniques de PMA pour toutes les femmes (célibataires et en couples de même sexe)
- le recours à la préservation de la fertilité.
Si l’avis positif du Comité consultatif national d’éthique en faveur de l’insémination artificielle (PMA) pour les couples de femmes et les femmes seules constitue un signal encourageant l’évolution de la loi, son avis défavorable sur la conservation des ovocytes est quant à lui sujet à réflexion.
Qu’est-ce que la préservation de la fertilité ? L’enjeu est ici d’autoriser les femmes à conserver leurs ovocytes lorsqu’elles sont encore suffisamment jeunes pour qu’ils soient de bonne qualité, en vue de les utiliser plus tard quand elles décideront d’être enceintes. Cet acte médical, nécessitant une stimulation ovarienne puis une ponction et une vitrification des ovocytes à -196 °C dans l’azote liquide ou une cryoconservation, permet de retarder son horloge biologique en mettant de côté ses propres gamètes.
Le recours à la vitrification des ovocytes est très limité en France. Actuellement, il ne peut intervenir que dans des situations bien précises : en cas de maladie ou de traitement potentiellement dangereux pour la réserve ovarienne, ou en cas de don d’ovocytes à une autre femme. À une époque où les femmes mènent des études longues, entrent tard dans la vie active et souhaitent faire carrière avant de fonder une famille, nombreuses sont celles qui désireraient avoir accès à ce procédé permettant de se protéger contre l’infertilité et de projeter sereinement une grossesse à 40 ans.
Quelles difficultés, quels choix à faire apparaissent ? ( le CCNE parle de points de butée)
- Disjonction entre sexualité et procréation, entre procréation et gestation (entre union et procréation)
- Disjonction entre la personne et les éléments de son corps, dans le temps et dans l’espace dans le choix d’une préservation de la fertilité pour une grossesse plus tardive
- Modification de la relation aux autres puisque ces demandes relèvent de décisions individuelles des femmes en fonction de leur plan de vie, de leurs projets, de leurs valeurs.
Cela permet de renforcer la demande d’autonomie qui s’exprime, pour un couple ou pour un individu, par le souhait de « faire un enfant » quand il l’estime optimal.
C’est aussi une revendication d’égalité dans l’accès au don de gamètes, justifiée par la représentation que chacun a de soi comme sujet libre et disposant de son propre corps.
Mais, exercer cette libre disposition de soi requiert d’impliquer les autres : corps médical, tiers donneur, enfants, société.
- Relations à la société : une question se pose : les femmes en couples ou les femmes seules devraient-elles supporter seules les frais inhérents à leurs demandes d’aide à la procréation s’ils ne relèvent pas d’indications médicales, ou une certaine forme de solidarité pourrait-elle être envisagée ?
- Disjonction médicale : la demande ne s’inscrit plus dans un contexte d’infertilité.
Ne pas oublier ni négliger de penser à la souffrance des couples infertiles en désir d’enfants
- Mais il faut veiller à ce que le fait d’éviter une souffrance n’en cause pas d’autres, en particulier si cela devait se révéler contraire aux intérêts de l’enfant qui naîtra de cette procréation médicalement assistée. Nous réfléchissons tout particulièrement à l’environnement dans lequel vivra l’enfant : grandir sans père est une situation créée par l’aide médicale à la procréation dans les couples de femmes et pour les femmes seules
- Relations avec les donneurs de gamètes, ou, éventuellement, les gestatrices
- La rareté des gamètes constitue un problème en soi. Plusieurs aspects expliquent que l’offre altruiste reste limitée : les demandes ont tendance à croître mais :
àUn don de gamètes ne répond pas à un besoin vital au sens strict – ce qui peut laisser les donneurs potentiels indifférents ;
à Les gamètes restent plus compliqués à prélever que le sang ; pour certains, les gamètes, porteurs du patrimoine génétique, ne sont pas l’équivalent d’autres éléments du corps humain.
à Du fait de l’insuffisance de l’offre, le risque existe – en cas d’élargissement des indications de l’AMP - de prolonger, pour tous, les délais d’attente, et donc d’augmenter l’âge auquel les femmes pourraient accéder à l’IAD et de diminuer les chances de succès de cette procédure.
Faudrait-il envisager qu’une priorité soit donnée aux couples composés d’un homme et d’une femme dont l’infécondité serait de nature pathologique. ? D’un point de vue juridique, cette solution serait douteuse en cas de légalisation des situations entre infécondités pathologiques et sociétales. D’un point de vue politique, cette priorisation serait aussi difficilement justifiable.
à Une fois le principe de la gratuité rompu sur les gamètes, on voit mal ce qui empêcherait de faire la même chose pour les autres produits et éléments du corps humain, y compris les organes.
Signes d’attention et problèmes éthiques :
- Dissociation entre l’acte conjugal et la procréation
- Création d’un stock énorme (plus de 200 000) d’embryons congelés dont plus d’un tiers sans projet parental dont on ne reconnaît plus la dignité humaine et qui peuvent être potentiellement livrés à la recherche. Ce sont les embryons surnuméraires
- Réduction embryonnaire qui consiste à extraire un ou plusieursembryons de l'utérus, mettant fin à leur développement dans le cas d’implantation de plusieurs embryons. (syndrome du survivant)
- La PMA sortira du champ exclusivement médical pour entrer dans le champ sociétal (transformation de la nature même de cet acte) Ce n'est plus un soin ! C'est une technique de convenance qui a un cout très important pour la SS. (20 000e par femme, chiffre noté dans l’avis du CCNE n° 126)
- Possibles frustrations pour les enfants privés de leurs origines : la PMA crée volontairement des orphelins de père.
- Souffrance accrue pour les couples pour lesquels l’AMP n’a pas eu de succès
- Droit ouvert seulement à une partie des citoyens avec comme conséquence juridique inévitable : une inégalité de traitement en fonction du sexe à La PMA ouvre la porte à la GPA et donc à la commercialisation du corps de la femme --> esclavage ? et marchandisation du vivant pour les couples d'hommes et les célibataires avec toutes ses conséquences dramatiques.
- Droit de l'enfant et, ou droit à l'enfant ?
- Question du droit de l'enfant à connaître ses origines : don anonyme
- Notion de parenté symbolique et discontinuité généalogique qui induit, de fait, aussi un déficit de transmission. L'enfant n'entre plus dans une “histoire“.
- Le marché financier induit qui fait, de fait la promotion de la PMA et en dissimule les risques. Il n'y pas de services après-vente (comme pour la GPA)
- Le manque de gamètes masculins qui va générer une difficulté de choix entre les couples hétérosexuels ou homo et peut conduire à en acheter à l'étranger (nous sommes en France encore, dans une logique du don gratuit et anonyme des organes)
- Risque d’une “infertilité organisée“
- La PMA peut tenter des couples déjà fertiles afin de “bénéficier“ d'un tri embryonnaire dans le cadre d'un DPI. Cela peut conduire un jour ou l’autre à l'eugénisme et au désir d'un enfant parfait. (voir le bébé OGM youtube)
- La PMA alimente la croyance en une fertilité sans limite avec la congélation des ovocytes.
Nos propositions :
- Il nous faut proposer des alternatives et informer sur les possibilités de traitements pour les
couples hypofertiles ou infertiles afin d'éviter la mainmise de certains gynécologues : naprotechnologies ou adoption.
- Donner du temps aux couples qui apprennent leur infertilité avant de commencer le parcours difficile de l’AMP
- D’une façon plus générale, proposer aux jeunes une éducation à l’accueil de l’enfant et au respect de l’horloge biologique des femmes
- Réserver les techniques d’AMP aux seuls couples mariés, infertiles, en capacité de procréer
- Protéger l’embryon humain, limiter la fécondation aux embryons qui seront ré-implantés, résister à l’eugénisme et au transhumanisme, prévenir l’IVG, protéger l’enfant de la PMA sans père, dénoncer l’esclavagisme des femmes dans la GPA, soutenir les plus fragiles, les personnes âgées et personnes handicapées, lutter contre l’euthanasie et le suicide assisté, préserver le mariage et soutenir la famille.
Et moi, dans tout ça ?
Est-ce que je m’en préoccupe et me forme ? J’oscille entre espoirs et inquiétudes, étonnement devant les progrès prodigieux et les transgressions exponentielles, et pourtant, nous vivons dans ce temps présent et nous devons le vivre, y participer !
Site états généraux de la bioéthique à consulter, participer aux rencontres proposées, répondre aux questionnaires en ligne.
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