Une perception extraordinairement positive de la sexualité anime l’Église dans sa réflexion et son action. Oui, le corps humain a été voulu et créé par Dieu. Oui, il fait partie de l’identité profonde de chacun, de chacune. Oui, la différence sexuelle est bonne, « très bonne » (livre de la Genèse, chapitre 1, verset 31). Oui, l’union conjugale correspond magnifiquement au lumineux dessein divin. Oui, le plaisir sexuel, accueilli comme un surcroît dans la communion des époux, est beau et bien.
L’Ancien Testament n’a pas peur de la chair. Le Cantique des Cantiques en offre un témoignage éloquent. Et que dire de l’Évangile ! Le Verbe de Dieu en personne s’est fait chair (cf. évangile de saint Jean, chapitre 1, verset 14). Il a assumé une condition humaine sexuée. Il est ressuscité en sa chair, entraînant tout être humain à sa suite, corps et âme. Ainsi, selon le christianisme, le corps n’est nullement le « tombeau de l’âme » pour reprendre une expression de Platon, mais son « temple » (1e épître aux Corinthiens, chapitre 6, verset 19), promis à une gloire infinie.
Dans ces conditions, comment peut-on encore affirmer que l’Église ait une vision pessimiste du corps ? Pour promouvoir et défendre l’éminente dignité de la chair, les théologiens catholiques ont beaucoup débattu au cours des siècles avec les courants néoplatoniciens, spiritualistes, manichéens, cathares, jansénistes, puritains, hédonistes, scientistes, consuméristes et avec bien d’autres. Cette vision enthousiasmante, idyllique serait-on tenté de dire, n’en est pas moins réaliste. Elle ne passe pas sous silence les conditions complexes et troublées qui affectent l’exercice effectif de la sexualité dans un monde marqué par la domination et la convoitise. La sexualité, tout en étant foncièrement bonne, peut devenir concrètement un instrument d’assouvissement de soi-même et d’utilisation de l’autre à cet effet, un facteur de séparation, de mensonge, d’hypocrisie et d’asservissement. De facto, elle est grevée d’ambiguïtés et d’opacités. Créée pour la communion, la joie, le don et la vie, elle peut devenir vecteur de repli, d’égoïsme, de tristesse, de violence et même de mort.
L’Église ne sous-estime pas ces difficultés, ces souffrances, ces désordres, ces péchés. Elle ne sous-estime pas non plus la grâce du Christ dont « la puissance se déploie dans la faiblesse » (2e épître aux Corinthiens, chapitre 12, verset 9). Le Fils de Dieu est venu pour aider, secourir, sauver, guérir, restaurer, élever tous les hommes et tout l’homme, y compris dans sa dimension sexuelle. La mission de l’Église s’inscrit très profondément - sacramentellement - dans celle du Christ dont elle est le corps. Assisté par l’Esprit Saint, son magistère enseigne aux hommes et aux femmes à ne pas avoir peur des pulsions qui les hantent, à les apprivoiser peu à peu, à les conduire humblement, à les ordonner patiemment, à les humaniser résolument, et en compagnie du Christ rédempteur, à les mettre au service de l’amour authentique. À cet effet, il offre – entre autres – une série de repères négatifs. Non aux relations sexuelles préconjugales, non à l’adultère, non à la pornographie, non à la masturbation, etc. Certains de ces repères sont faciles à comprendre, d’autres se heurtent à des préjugés culturels, à d’étonnantes caricatures ou à des obscurcissements de conscience. Peu importe ! Il ne faut pas trop s’en étonner. Aucune de ces normes n’est cependant un tabou. Aucune ne possède son centre d’intelligibilité en elle-même, mais bien dans ce grand oui à la bonté, à la dignité et à la beauté du corps humain créé pour la communion et promis à la résurrection, à la vie éternelle. Les repères négatifs, qui doivent être inlassablement expliqués et approfondis, sont là pour permettre à chacun de croître personnellement dans la vérité de ses relations avec autrui et avec lui-même, de déployer librement son humanité dans toutes ses potentialités de vie. Plus radicalement encore, ils sont là pour amener délicatement les prodigues que nous sommes dans les bras du Père de toute miséricorde et de toute grâce (cf. évangile de saint Luc, chapitre 15, verset 20). Comment le Dieu des chrétiens – et par conséquent l’Église qu’il a instituée – pourrait-il être contre la sexualité ? N’est-ce pas lui qui l’a créée, assumée, sauvée et glorifiée ? « Le corps n’est pas pour la fornication ; il est pour le Seigneur, et le Seigneur est pour le corps » (1e épître aux Corinthiens, chapitre 6, verset 13).
Olivier Bonnewijn, Prêtre et docteur en théologie
Article écrit pour le magazine Il est vivant ! du 3 décembre 2007, également consultable sur www.ilestivant.com